2ème épisode : Dampierre sur Salon et Gray
le Paquebot Kairouan
corrections et complément en cours
Excusez les erreurs
Et puis ce fut le départ !!
La nuit fut longue dans la cale du "Kairouan" qui nous éloignait de notre terre natale. La chaleur, les odeurs de sueurs mêlées à celles des embruns marins m'obligeaient à revivre les dernières heures passées.
Sur le quai de la gare d'Orléansville les adieux furent émouvants. Par ce début d'été 1951 le petit vent brûlant nous faisait lui aussi ses adieux. Quelques temps avant nous avions pris en taxi la direction de la gare. Nous étions tristes de laisser Maman et Roland. En effet une sombre difficulté de liquidation commerciale nous empêchait d'être tous du voyage. Ce devait être rapidement liquidé mais nous le verrons par la suite, la longue procédure me permit toutefois de revenir sur ces lieux que je croyais abandonnés à jamais...Dans le train "l'Inox" qui nous emmenait à Alger, nous avons regardé ensemble défiler les endroits qui nous avaient tant enchantés.Ce fut tout d'abord les environs de l'Orangeraie et les bois alentours où nous ramassions en saison les asperges sauvages, puis Pontéba et la Ferme, en contrebas dans cette plaine qui avait résonné de nos éclats de rires en famille,Oued-Foda en rasant la maison de tata Thérèse et ma petite cousine chérie!!
Et puis le paysage est devenu quelconque à nos yeux. Alors Gisèle et moi sommes allongés sur la banquette du compartiment pour sombrer dans un sommeil agité...
...La gare maritime d'Alger grouillait de monde. Les dockers s'agitaient dans tous les sens en s'énervant de la lenteur des autres employés. Des ordres montaient de tous les coins par dessus nos oreilles pour indiquer aux passagers la marche à suivre. Des femmes et des hommes transportaient de lourds ballots sur leurs épaules pour finalement s'engloutir dans le monstre blanc solidement amarré au quai par d'énormes cordages.
Mon père s'était déjà renseigné et nous le suivions tous très impressionnés par toute cette agitation. Gisèle et moi nous tenions la main surveillés de très près par notre sœur aînée maintenant désignée comme maman d'adoption.
Je sentais bien que, fière de cette nouvelle responsabilité, elle n'en demeurait pas moins amère. En effet son "chéri" restait ici sur cette terre qui allait s’éloigner de plus en plus et malgré la promesse de mariage elle devait accomplir une dernière fois, mais pour quelques trop longs mois son rôle de maman avec deux petits monstres qui ne se supportaient qu'à l'occasion !
Puis nous nous sommes retrouvés avec le reste des passagers sur le pont du navire à observer les manœuvres des autorités. La dernière attache libérée nous sépara définitivement de la terre. Tout ce que nous voyions devenait du passé. Le quai s'éloignait lentement et la mer nous happait.
Dans le jour déclinant, les maisons blanches de la Capitale nous faisaient leurs adieux. Nous regardions ce spectacle flamboyant quand notre père nous secoua vivement.Il venait de dénicher un coin tranquille dans la cale inférieure et nous devions faire vite avant qu'elle ne fût prise.
Après une collation sortie du sac, le sommeil commença à nous gagner.
Les premières heures d'épuisement passées, le ronronnement des machines, le choc des vagues contre la coque et les propos de quelques passagers eurent gain de cause sur notre sommeil. Gisèle et moi nous extirpèrent de notre couverture pour aller visiter quelques recoins du paquebot.
Nous n'osions aller trop loin, tant ce monde de bruit et de silence à la fois nous impressionnait. En montant une passerelle nous débouchâmes sur ce qui devait être le pont principal et sur lequel nous avions passé un bout de l'après midi.
Nous fûmes surpris par une obscurité et une lumière blafarde. De violentes bourrasques de vent et le bruit assourdissant de la mer vainquirent notre courage et c'est en dévalant la coursive que nous réveillâmes notre sœur et qui ne manqua pas de nous sermonner pour notre inconscience!
Les premières lueurs du jour qui filtraient au travers d’un hublot, le bâillement d’un voyageur et son expression douloureuse d’une nuit trop courte, le gazouillis d’un bébé qui se transforme en vagissement pour réclamer sa première tétée, l’appel d’une mère discret puis exacerbé envers son enfant, toute une cacophonie de sons divers qui montaient crescendo pour enfin réveiller toute une population grimaçante et moulue de douleurs que la position prolongée sur les chaises longue avait engourdi !
Après un petit déjeuner frugal, nous remontâmes sur le pont. Un attroupement de quelques personnes accompagné de petits cris d’admiration les attirèrent à l’avant du navire. Et là, en suivant des doigts pointés vers les flots, nous nous aperçûmes, sur un ballet de dauphins qui, précédant la proue du navire, fendait joyeusement l’eau transparente. Un peu plus à l’écart, d’autres congénères s’élançaient dans les airs pour retomber bruyamment dans l’écume des flots, sous les bravos des spectateurs.
Et plus tard dans la matinée, un voyageur s’écria :
— France !... La France !
Le mot magique fut prononcé !... La Mère Patrie se dévoilait à travers une brume matinale qui, au fur et à mesure de l’approche du continent, se déchirait pour leur faire découvrir une côte qui leur semblait familière, tant la similitude avec celle que nous avions quittée était grande. Avions nous réellement quitté notre pays ?
Ce n’est que lorsque le navire approcha de la rade phocéenne que nous primes conscience du changement. Nous croisâmes une ile que certains appelaient le Frioul suivie d’une seconde dénommée Le Château d’If. Enfin, avec d’infinies précautions, le fier et immense cygne blanc s’engagea dans son port d’accueil.
Plus tard, les quais de la Joliette accueillirent toute une foule chargée de ballots, de sacs, de valises et qui s’égaillait ensuite dans la ville qui l’engloutissait.
Nous nous regardâmes un instant médusés, d’une manière étrange, avec le sentiment d’ouvrir ensemble une nouvelle porte, vers un futur inconnu, mais aussi vers de nouvelles aventures qui, pour moi-même, promettaient d’être palpitantes !
*********
Franche Comté des années 50
Un vacarme assourdissant envahissait la grande verrière de la Gare St Charles. Mon père nous avait demandé de l’attendre en début de quai, pendant qu’il se renseignait sur le trajet qui les emmènerait vers le nord.
Des haut-parleurs annonçaient des horaires et des destinations ponctués par des sifflements de chefs de gare que venait couvrir le bruit strident des dégagements brutaux de lâchers de vapeur des différents monstres à mécanique. Partout, des ordres de bagagistes, des interpellations de voyageurs, des cris d’enfants apeurés, des chocs métalliques. Tout un brouhaha d’une vie trépidante. Nous nous installâmes dans un des compartiments numérotés. Celui-ci était composé de deux banquettes face à face et d’un porte-bagages sur lequel notre père hissa les valises. Entre les deux, un miroir à mi-hauteur et des cadres illustrant des paysages métropolitains.
Le haut-parleur annonça leur départ :
— Attention, attention ! Le train n° 592, en partance pour Avignon, Montélimar, Valence et Lyon Perrache va partir… en voiture s’il vous plait !!...
Puis un long coup de sifflet, et quelques instants après, le train s’ébranla lentement provoquant une secousse du wagon. Gisèle et moi nous précipitâmes à la fenêtre. A l’avant, la locomotive s’époumonait à tirer ce long convoi. Penchés par-dessus la vitre, nous n’avions pas anticipé, un peu plus loin le tunnel qui nous rabattit en pleine figure les escarbilles et la fumée noire de la machine. Les visages bronzés que nous présentâmes firent éclater de rires tous les voyageurs du compartiment !
La suite du voyage se poursuivit normalement. A Lyon, le train stationna un long moment pour attendre les autres correspondances. Après une collation sortie du sac, ce fut : Villefranche-sur-Saône, Macon, Tournus, Châlons-sur-Saône, Beaune et enfin Dijon que nous atteignîmes en fin d’après-midi. Sans tarder, nous sortîmes de la gare bourguignonne où un autocar nous attendait pour arriver en début de soirée, à Gray[1] le but final de cette journée. Là, une relation de notre père nous accueillit pour nous mener à un petit hôtel pour la nuit. Complètement exténués, nous sombrâmes tous dans un très profond sommeil.
Gray
Dès mon réveil, je me précipitai à la fenêtre pour découvrir ce nouveau pays ! Le panorama s’ouvrit sous un soleil radieux avec, en premier plan, une écluse occupée par une péniche. En second plan, une large étendue d’eau retenue par un déversoir, barrait le fleuve Saône et sur laquelle un ballet de cygnes blancs évoluait gracieusement. Sur la gauche, les arches d’un pont menaient à une rotonde entourée de bâtiments aux toits rouge. En surplomb une église au clocher bulbeux dominait la vallée et donnait une identité particulière à ce paysage. Il apprit, par la suite que ce clocher de Notre-Dame-de-Gray était en réparation suite aux bombardements de la dernière guerre. Dans l’après-midi, nous primes un autocar qui nous amena enfin à notre destination finale :
Dampierre sur salon !
Ce village et ses habitants ont enrichi mon adolescence et c’est toujours avec bonheur qu’ aujourd’hui encore, je retourne pour revivre avec émotions toutes les belles aventures qui ont bercé cette période.
Les regards envieux de ceux que nous avions laissés, les images bucoliques distribuées, l’Hôtel du Soleil d’Or des Goya qui fut notre premier hébergement avant l’intégration dans notre nouvelle maison, m'encourageaient à la découverte de ce nouveau monde. Je mis tous mes sens en éveil pour happer toutes ces nouvelles végétations, ces nouvelles odeurs et saveurs, ces nouveaux visages. Un peu comme l’enfant qui vient de naître, j'écarquillai les yeux. Tout était mieux qu’avant ! Là, des fraises rouges qui poussaient partout même dans les bois, ici des vaches blanches et rousses revenant des près en occupant toute la route, là-bas des canards sauvages barbotant sur les bords de l’eau au milieu des roseaux... L’abondance des arbres fruitiers le long des routes, donnaient selon la saison : cerises, pommes, poires à portée de main. Toute la nature semblait m' appartenir. A peine arrivé, j'étais déjà amoureux de ce pays !
Le village dominait au nord le reste de cette bourgade, située principalement en adret où s’écoulait, depuis l’ouest, la rivière le Salon et baignait le reste des habitations et de l’église avant d’aller grossir quelques kilomètres plus loin la rivière Saône. Une population essentiellement rurale à une époque où le mugissement des vaches, le caquètement des poules, l’aboiement de quelques chiens, le cri des paysans emplissaient tout l’espace d’une voierie non encore dominée par le monstre automobile. Le centre du village qui constituait la partie basse, abritait quelques commerces et artisans divers et c’est dans cet espace, au 70 rue Carnot, que se situait le salon de coiffure de leur père ainsi que leur nouveau lieu de vie qui allait durer une bonne douzaine d’années.
Les premières semaines de leur arrivée furent consacrées à leur installation : son père assurant les sujets pratiques et manuels, sa petite sœur et lui pour lui servir de soutien, tandis que l’aînée assurait l’intendance et le ménage… Et puis tout doucement ce petit monde trouva ses marques et ses futurs rêves à entretenir…
Le jour de la rentrée, l’école communale vécut une petite révolution. La jeune population, poussée par la curiosité, allait enfin faire connaissance de ce petit français d’Afrique !
Avec une certaine solennité le directeur de l’école des garçons, rassembla l’ensemble des deux classes « petits et grands » pour me présenter.
— Nous sommes heureux de compter parmi nous un petit camarade qui vient d’un pays très lointain. Il vient d’Algérie et ses parents sont les nouveaux coiffeurs de notre village. Je vous demande de l’aider du mieux que vous pourrez afin qu’il se sente bien chez nous.
Puis dans un silence complet, les bras sagement croisés sur les blouses grises ou noires, comme dans toutes les écoles de France, les deux groupes suivirent leurs maîtres dans leur classe respective.
A la récré, un petit attroupement s’agglutina autour de moi, certains les yeux ronds, interrogeant sur ce mystérieux pays :
— Vous viviez comment là-bas ?...
— Ben, en Afrique, c’est dans des gourbis ! S’empressa d’informer son voisin.
— Oui, et là-bas y’a plein de bicots !! affirmait celui d’à côté.
Tandis que d’autres s’inquiétaient de savoir s’il y avait des lions, des singes ou des girafes dans les rues; si ils avaient des fouets pour les bicots !! Enfin, une avalanche de questions ou d’affirmations qui m’empêchaient de répondre. Je jugeai que cela méritait une plus grande réflexion, surtout pour des gens qui vivaient encore sans tout-à-l’égout et des toilettes au fond du jardin[2]! Curieusement, je ne leur en voulais pas de leur ignorance mais pressentis que cela demanderait du temps pour les convaincre …
Mon premier copain s'appelait Bernard, Bernard Galdin qui dès le début avait ressenti ma geine face aux remarques et moqueries de nos camarades. Son regard doux calmait un peu ma colère et mon impuissance. Il restait curieusement d'un calme surprenant avec un subtil sourire permanent. Alors il m'encouragea à nous assoir sur le seul banc en pierre . Il y traça un carré avec des quelques feuilles fraiches du noisetier qui penchait ses branches près de nous. et traça un carré, y traça les médianes et diagonales et c'est ainsi que j'appris à jouer au "carré" en devant aligner soit les 3 petits cailloux ou bûchette pour gagner !
Mais voilà Bernard avait une santé fragile et je crois qu'il avait une faiblesse cardiaque. Tout le monde était à ses petits soins. Madame Lachaux, notre maîtresse veillait particulièrement sur lui.
Je garde encore un souvenir bucolique de ces temps de l’école communale où le couple d’enseignants laissait le temps au temps. L’enseignement général était assuré, enveloppé de douceur, de décontraction, de longues récréations ou de merveilleuses balades à pieds dans la campagne. Et quand l’une ou l’autre était impossible, le maître allait décrocher au mur un violon et toute la classe entonnait, sous sa conduite, des chansons populaires d’autrefois. C’est peut-être depuis cette époque que je trouve plus d’intérêt dans la nature, le sport , la poésie ou la chansonnette que dans les mathématiques !
En effet, je préférais les heures passées avec mes nouveaux camarades dans les bois à la recherche d’un nid de pies, de geais ou de corbeaux qu’il s’évertuait ensuite à élever à la maison au grand dam de mes deux sœurs.
Le Jo, comme dit en Franche Comté, était mon voisin immédiat et nous passions des heures entières à jouer au Mecano, les voitures Dinkitoy et mon train électrique.
Nous participions auprès des paysans, les Genin, les Debellemanière, les Lambert et d'autres au rythme des saisons, à la confection de botte de foin ou de paille, à l’arrachage des betteraves et qui se terminait immanquablement, dans une grange aménagée avec des tréteaux, pour un goûter pantagruélique où trônaient pêle-mêle : tartes, biscuits, fruits, tranches d’énormes miches de pain, accompagnées de succulentes confitures, de mottes de beurre et de pots de miel local.
A ce sujet, notre instituteur possédait, en retrait de la cour d'école, un jardin qui servait de laboratoire à leçons de choses qu’on appelle aujourd’hui pompeusement « science, vie, nature ». Un peu sur le côté, au fond de ce paradis, quatre ruches abritaient des nuées d’abeilles qui fabriquaient de l’or ! Non loin de là, de grands acacias leur servaient de garde-manger et pendant des heures et des jours durant, après des centaines de milliers d’aller-retour, elles confectionnaient un nectar transparent, tendre, soyeux : un délicieux miel blond ! Je revois encore notre maître extirper d’une centrifugeuse manuelle ce liquide dont je suis resté friand et qui lorsque je le déguste encore aujourd’hui, me font remonter les parfums d’une riche nature, les rires et les bonheurs de joies simples. Toutes les explications de notre maître ont certainement contribué à l’admiration que je voue encore aujourd’hui, à ces insectes et au symbole de travail et de patience qu’ils représentent.
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Des anecdotes à raconter (Le Pont de bois, la Charme, la côte Renverse, la plage d'Autet, Le 2ème pont, le Bosquet ... Les artisans etc... des personnages; la Nannie, le Nicolas, le Tutulle Totor ... etc...
Don Camillo
Un autre événement qui marquera longtemps ma vie s’est déroulé un beau matin peu de temps après notre arrivée. Alors que je portai une planche de bois à mon père pour réparer un morceau de sol. Dans le couloir qui donnait sur une grande pièce destinée au salon de coiffure, des pas lourds montèrent les trois marches d’accès à notre maison et nous firent sursauter. Une poussée sur la porte laissa apparaître un géant noir de deux mètres encadrant toute l’ouverture mais qui, contrairement aux apparences, lui parut plutôt sympathique avec son visage ouvert et rieur coiffé d’une barrette bien posée sur des cheveux blancs.
— Bonjour mon Grand ! … Je suis bien chez les nouveaux arrivants de notre village ?
— Heu… ben… balbutias je, tout de même impressionné par la carrure du personnage…
— Ton papa ou ta maman est là ? …
— Qui est ce ? lança mon père à travers la cloison.
— C’est …un monsieur…un Monsieur l’curé !!!
Immédiatement mon père arriva, salua le visiteur en s’excusant de le recevoir ainsi en plein chantier.
— Que me vaut votre visite… mon Père ?
— Abbé Hugues, prêtre de la paroisse, pour vous saluer dit-il en soulevant légèrement sa toque …Je n’ai pu le faire depuis votre arrivée et vous m’en excuserez. Ensuite, j’ai remarqué votre présence à la messe dimanche dernier et me suis réjouis de constater une belle famille chrétienne. Sans la Maman apparemment… ??
Et mon père de lui expliquer les raisons de l’absence de la mère ainsi que celle du fils cadet Roland retenus encore en Algérie afin de régler leur affaire commerciale. Tout en abrégeant sa visite, le prêtre les invita à la prochaine messe dominicale et au verre de l’amitié qui était prévu ensuite afin de préparer la kermesse prochaine.
Cette visite fut le départ d’une relation affective et très chrétienne qui durera fort tout le temps de notre présence à Dampierre.
Très vite, tant parents qu’enfants, avions réussi à nous intégrer dans cette ambiance rurale très profonde. En quelques mois mon père acquit une réputation professionnelle qui lui attira une population des villages environnants. De son côté, Gisèle, ma sœur, se trouva chez la voisine, « une Tata » d’adoption qui, par la suite devint un peu notre confidente. Il faut dire que nos autres parents étaient si loin à présent.
Quant à moi, je n’eu que l’embarras du choix. Fafou, Dodoche, Titi, Jo, Mino, Souris entre autres, étaient tous des fervents adeptes d’aventures dans le Salon, au lieu-dit le Pont de Bois dénommé ainsi malgré sa structure métallique), de cavalcades dans le chemin du tacot, ou de construction de cabanes dans la carrière du Père Reboul ou sur l'ancien tracé du tacot jusqu'à la ferme d'Asnières à la recherche de fraises, cerises sauvages avec Jo Mongin ou Fafou . Des lieux d’inspirations pour des indiens et des cow-boys en herbe ! Les escapades dans les bois nous transformaient en éclaireurs ou en trappeurs canadiens, à dénicher quelque geai, pie ou corbeau que nous essayions en vain de domestiquer.
Au premier pont nous nous retrouvions pour pêcher le goujon ou le vairon, quelque fois en fraudant avec une bouteille transformée en piège mais avec la hantise de voir arriver un képi bleu sur le parapet et tenter de nous prendre sur le fait ! Ce jeu de cache-cache nous faisait trembler mais quel excitation !
Un personnage qui nous impressionnait s'appelait... non, je dirai qu'on appelait Tutulle. c'était le garde champêtre dont les fonctions municipales étaient diverses, allant de la surveillance du territoire, en passant par les annonces municipales dans tous quartiers du village au son du tambour, le secours à un incident quelconque ou bien la verbalisation à certains administrés...
Alors évidement il était autant désiré que craint. Sous son air bourru, il était bien apprécié par tous petits et grands !
Puisque j'en suis à parler d'un personnage pittoresque, je ne peux manquer de parler d'abord de Nannie !
La Nannie
Bien plantée sur des jambes solides et vieille fille ou du moins c'est ainsi que je la percevais, elle était d'abord une fidèle de la paroisse et se distinguait à l'harmonium de l'église et formait avec Pierre Louvot un duo efficace à la chorale de la paroisse..
Elle avait également un rôle social. Sous la responsabilité de l'abbé Hugues dans une petite salle annexe du presbytère, du haut de son certificat d’étude, elle recevait, surveillait, conseillait les élèves, garçons et filles qui venaient faire leurs devoirs du soir. Ce qui n'était pas, apparemment du goût de notre instituteur ! Mais bon ça passait et ça rassurait les parents ....
Nicolas
Son autre fonction était la distribution des tickets de cinéma. Elle distribuait les billets avec une infini précaution qu'elle confiait ensuite à son "collègue" Nicolas qui, lui-même s'attacher à faire respecter les places attribuées, l'ordre et le silence pendant les séances !
Il servait aussi de sacristain et de sonneur de cloches et d'homme à tout faire pour son curé ! Son destin se termina tragiquement puisqu'il mourut dans l'incendie de sa maison !
Le cinéma du village avait été créé par notre curé, avec ses propres deniers et le bâtiment porte toujours son nom en reconnaissance des paroissiens.
La générosité de ce prêtre ne s'arrêtait pas là. Seul héritier de parents paysans aisés à Corgirnon (Haute Marne), il faisait bénéficier les habitants de ses largesses. C'est ainsi qu'il organisait régulièrement des voyages en autocar dans les régions environnantes. Je me souviens d'une de sortie jusqu'à Domrémy, le village de Jeanne d'Arc et un retour avec des jonquilles cueillis à Gérarmer.
A la campagne
L’insouciance était reine pendant les grandes vacances, même si pour soulager quelques camarades cultivateurs, je participais de grand cœur à certains travaux des champs sous l’autorité des adultes qui nous surveillaient de près. La sanction que nous redoutions le plus, était celle d’être punis et de ne plus être conviés le jeudi suivant ! Trois mois de longues et douces journées à plonger dans le barrage du Moulin de la Charme, pêcher le goujon ou la perche soleil dans quelque trou du « Deuxième Pont », chercher, en fonction du temps, quelques baies sauvages: fraises, ou mûres de l’autre côté des « Charmottes », cueillir champignons des prés, « marauder » quelques fruits d’un verger plus succulents que ceux achetés, et revenir, barbouillés, crottés mais fiers d’aspirer de la liane séchée pour faire comme les grands ! La fessée qui les attendait n’effaçait pas l’extraordinaire sensation d’espace et de liberté que nous avions respirée …
L’aventure nous rendait même assez intrépides pour oser se confronter, avec nos arcs ou frondes de notre fabrication, aux hordes sauvages de quelques chiens errants ou bovins trop têtus !
Anecdote de la carrière Bai
Une belle journée s'annonçait sous un soleil éclatant mais les "indiens" avaient décidé d'aller provoquer les "cow-boys" . L'affrontement devait avoir lieu dans la carrière des Etablissements Bai Dino. Un endroit idéal pour les cachettes et les pièges.
Mon équipe d'indiens était prête à l'affrontement. Je me sentais plein d'énergie et me proposai d'aller provoquer ces cow-boys. Je me savais très rapide et donc imprenable surtout que j'avais chaussé des espèces de pantoufles montantes à semelles épaisses et ultra souples. Ils ne manqueraient pas de me poursuivre et il suffisait de les entrainer dans un repli de la carrière, de les laisser entrer et de les encercler. Plan accepté. Je me glissai furtivement jusqu'à leur camp. Arrivé tout prêt d'eux sans avoir été repéré, je me levai et lançai mon cri de guerre. La réaction fut immédiate "sus à l'indien" !! Prêt à détaller je continuai à, les provoquer. Arrivés à une dizaine de mètres de moi, j'explosai dans les airs comme léopard dans la direction opposée. Armés de leurs fusils ils espéraient bien me coincer dans un tournant. Mais j'avais prévu le coup et pour mettre une bonne distance entre nous, je décidai de couper au plus court en bondissant dans les airs et les entrainant ainsi dans notre guet à pan ! Ce que je n'avais pas prévu c'est la réception dans un tas de planches où certaines planches encore cloutées ne manquèrent de traverser les "épaisses semelles" à l'atterrissage !!
Un immense hurlement, qui n'avait rien d'indien empli toute la carrière ! Je restai planté avec l'objet douloureux accrochée dans le pied !
Ce hurlement qui n'avait rien d'un simulacre fit prendre conscience aux deux équipes que la chose était grave et c'est avec complaisance que le chef des cow-boys déclara une trêve...
Après avoir vainement essayer de détacher la planche, il fut décider de me transporter ainsi en brouette jusqu'au bas du village à la pharmacie !
Moi le fier indien, je dus accepter toute une longue procession agrémentée le long de la route par les cris ou les remarques des personnes interpellées et étonnées d'une telle agitation !
Je passai devant la boutique de mon père en priant mon convoi de ne pas l'en avertir !
Les soins acquis par la pharmacienne me permit de me redresser et d'aller à la rencontre de mon père inquiet de ce remue-ménage !
Ce fut une autre piqure qui me fut administrer à l'intérieur de la maison, d'autant que j'avais été puni de sortie pour mauvaise note à l'école !!
Des copains s'en souviennent encore aujourd'hui !
Dans la campagne
Des jeux moins ’’dangereux’’ occupaient nos après-midi: les jeux de bille « Au trou » ou « Au Triangle », le cerceau que nous faisions rouler, par des exercices d’équilibre, dans les rues serpentées, les escaliers des maisons ou la balustrade du pont. Il nous arrivait de partager avec les filles des parties d’osselets, de marelle ou de sauts à la corde. Et si la pluie nous privait de l’extérieur, nous nous satisfaisions de grandes batailles de petits chevaux ou bien de solitaire. J'appréciais toujours de prendre feuille et crayon et reproduire tableaux ou portraits d’artistes durant de longues heures.
Les hivers étaient plus rudes qu’aujourd’hui. Tous les ans, un épais manteau de neige recouvrait toute la campagne et assourdissait les bruits des êtres vivants et des mécaniques. Seul le croassement lugubre des corbeaux venait fendre un espace et un sol endormi dans la glace.
A la « Côte Renverse », la station d’hiver du village, nous nous exercions à dévaler la colline, au travers des quelques rares sapins, sur une luge de notre fabrication.
Avec la complicité du maître d’école, nous confectionnions, dans la cour, une longue piste de glissade. Des «préposés» même étaient chargés de jeter quelques seaux d’eau le soir afin, qu’avec un saupoudrage de neige fraîche et un vieux pull-over de laine, nous puissions, au matin, lustrer énergiquement la surface gelée de la piste pour tenter de battre des records !
Mais la tristesse et la rudesse de l’hiver, avait ses compensations. Les soirées étaient souvent occupées par des veillées chez des voisins ou amis devant une immense cheminée où l’on faisait griller noix et châtaignes. C’était aussi le temps de l’Avant et de la préparation de Noël, tant à l’église pour répéter les chants liturgiques qu’à la maison pour confectionner les pâtisseries traditionnelles.
Je me souviens avec une certaine nostalgie, en compagnie de ma fratrie, les mains enfarinées à pétrir une pâte servant à la confection de croquets ou biscuits parfumés à la fleur d’oranger ou à l’anis, un souvenir de notre autre pays.
La confection de la crèche était un cérémonial particulier. Après avoir ramassé mousse et branchages dans les bois, je construisais un petit monde de rêve, constitué des santons traditionnels. L’installation de Marie et Joseph était réservée, par habitude, aux parents. Puis, restait l’angoisse de la prochaine arrivée du Père Noël et dont la livraison de la commande était conditionnée bien sûr, aux résultats scolaires et au degré de leur gentillesse. Au retour de la messe de minuit, après avoir installé l’Enfant Jésus dans la crèche, ma sœur et moi nous précipitions dans leur lit pour vite s’endormir. Dès la première lueur du jour amplifiée par le manteau neigeux, nous dévalions les escaliers de notre chambre pour découvrir au pied du sapin décoré, des jouets confectionnés par notre père, des fruits et des friandises dans nos chaussures cirées et bien alignées.
[1]Sous-préfecture de la Haute Saône sur les bords du fleuve.
[2]Retard de la campagne française par rapport de celle de l’Algérie à cette époque.
[3]Couvre-chef de prêtre
[4]Salon est le nom de la rivière
[5]En Franche Comté on rajoute facilement l’article devant le nom ou le prénom.
Trois grands personnages dominaient la vie de Dampierre : le maire, bien sûr, mais plus encore, avec une certaine égalité complice ou rivale, le maître d’école et le curé ! Les vieux étaient le domaine du maire tandis que les enfants étaient partagés entre les deux autres autorités.
Le jeudi matin Sœur Jean, notre Super Nannie de l’époque, nous prodiguait, depuis la cure voisine avec l’Abbé Hugues, l’enseignement du catéchisme en nous faisant réciter les prières nous préparant ainsi à notre communion solennelle.
Les jeudis après-midi étaient souvent occupés chez les Louveteaux. Encadrés par des « grandes », nous parcourions la campagne ou les bois de « la Marquise », suivions avec envie les préparatifs au camp des plus grands: les Scouts sous la tutelle de M. le Curé qui était fier de sa jeunesse ! Mais, malgré notre impatience, il nous faudrait attendre que nos dents de louveteaux s’aiguisent un peu plus !
Tout ce petit monde participait à toutes les commémorations nationales, devant le monument aux Morts pour chanter la Marseillaise, sous la baguette du Directeur d’école, l’œil attentif de Monsieur le Curé et… supervisé par Monsieur le Maire du village !
Drame national
Quelques années plus tard, un événement vint pourtant troubler cette quiétude.
En 1956, l’affaire s’étala sur toutes les unes des quotidiens et tous les adultes s’inquiétèrent de la suite du drame:
« Tuerie en Algérie ! Macabre découverte à Palestro !... Une section entière de militaires prise dans une embuscade. »
Sans trop comprendre de ce lointain et méconnu département, la population sentait bien que ce qui semblait n’être qu’escarmouches sans grande importance pourrait bien se transformer en une guerre.
Evidemment, mes parents se sentant directement concernés, s’informaient par courrier, par télégramme ou parfois par téléphone des éventuelles conséquences sur place.
Après le drame du tremblement de terre d’Orléansville, qui avait épargné notre famille là-bas , une autre inquiétude, plus durable, allait nous préoccuper.
Quelle solution, quel personnage providentiel viendrait mettre un terme à ce qui semblait pour le moment, insoluble ?
L’insouciance se muait en angoisse…
Le Scoutisme
Grâce à notre bienfaiteur, la logique nous conduisait à la Troupe Hugues. Evidement je retrouvais tous les copains Pierrot Chevaiier, Fafou, Claude et Jean Pierre Louvot, Jo Mongin, Titi Bai, Jean Yves, les frères Logette, Jean Marie Pirolley, Bernard Lambert, Jean Claude Torella etc.. Enfin, toujours tous heureux de nous retrouver dans un autre cadre.
Et ce cadre était de deux ordres. Le premier; l'activité physique par la marche, le portage et l'entretien du matériel. Le second: la spiritualité par une loi à appliquer, un idéal à entretenir, un besoin à la réflexion, à l'échange intellectuelle.
Tout cela se traduisait par la préparation de camps, la destination à atteindre à pied ou à bicyclette, l'installation sur les lieux et le partage avec d'autres en communion empreint du même idéal d'esprit que la religion donnait une motivation supplémentaire.
La promesse scoute Le servant de messe
les Kermesses
Retours
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